Maman, aujourd’hui j’ai 30 ans

Ok c’est faux mais tg, takompri

Maman. Aujourd’hui j’entame ma trentième année d’existence, la cinquième de ton absence. La vie est faite de cycles, askip. Cette année en est un. Je sais pas quel génie véhicule l’idée que les cycles, c’est TROP BIEN, parce qu’honnêtement ce mot n’est utilisé que pour des sujets à chier: les machines à laver, les roues de vélos, les menstruations. WHAT A PARTY IT’S GONNA BE, woot woot.

Tout le monde autour de moi pète un plomb sur la crise de la trentaine, le passage dans un autre stade de vie, les checkpoints à avoir passé pour être un adulte pas trop croche. J’ai regardé ça avec un petit air narquois une bonne partie de l’année, avant de comprendre que moi aussi j’étais dedans, cette crise de la trentaine. Allez, rejoignons la meute. J’ai pas Netflix mais j’peux renflouer les caisses d’un ou deux psys comme tout le monde.

C’est seulement en me rapprochant de ta date que j’ai compris que j’avais besoin d’un bilan. Les dernières années me sont rentrées dedans, comme on dit joliment au pays des caribous. Mais je crois que la vie m’est toujours un peu rentrée dedans de toute manière. J’ai juste plus de mots et de concepts qu’avant pour le verbaliser en agitant les bras comme une dégén’.

Maman, aujourd’hui j’ai 30 ans et j’aurais aimé être mieux équipée pour tout ça. Ces temps-ci j’essaie de mettre à la retraite la guerrière que tu as fait naître, alors je ne dirai pas que j’aurais aimé être mieux « armée ». Disons équipée, outillée. J’aurais aimé savoir. Mieux, plus. Moins bien mentir mais mieux aimer. Mal écrire mais plus sourire. J’imagine qu’on apprend tous un peu sur le tas, mais si on avait pu éviter le tas d’étrons, c’eut été fort sympathique, voyez-vous?

C’est trop tard pour te poser des questions de femme à femme. De fille à mère. De fille amère. Je ne peux que me souvenir de tes mots, écouter tes indices dans le vent et croire à la douceur. Pas si fun cet article pour une fois, he?

J’suis un tipeu rouillée, mais je vais essayer de te vomir mes apprentissages de vie de la façon la plus drôle-et-donc-inefficace possible. J’espère que ça te fera sourire. Tu sais plus trop à qui je parle là hein? Mais oui, à toi. Évidemment. (Pro tip de narration: dire des choses vagues mais existentielles pour que l’audience s’identifieqwlvnerberubwr bullshit).

J’aurais aimé que tu te trouves. Mais j’aurais aimé ça très égoïstement hein, pour que je n’aie pas à le faire seule ensuite. Pour que tu me montres comment. Pour que je n’aie pas à me libérer de tes blessures avant de découvrir les miennes (and that’s another shitload for the next 10 years babe). Pour que je ne tourne pas comme une poule sans tête entre une tite tablette de chocodépression et des éclairs de génie qui arrivent trop tard. J’aurais aimé savoir que j’allais passer par des phases très colorées, genre névrosée du rejet, forcenée de l’injustice, pour finir par coquille vide saveur framboise de mer. J’aurais aimé ne pas avoir à lire autant de conneries de développement personnel, ne pas devenir une putain de médium de ce que pensent les gens, ne pas construire une expertise senior en communication conjugale pétée, tsé. J’aurais aimé que tu me prépares à ce que les 3/4 de l’humanité aient une intelligence émotionnelle de ThermoMix. Mais maintenant je sais.

J’aurais aimé que tu te libères. D’eux, de lui, d’elle, de nous, mais surtout de toi. Que tu ne sois ni Rose ni Lyne. Que tu sois juste toi, et en paix avec ça. J’aurais aimé que tu développes ton entièreté pour faire émerger la mienne. J’aurais aimé ne pas avoir à lire un livre avec le PIRE TITRE EVER, La Maîtrise de l’Amour, pour apprendre ce que c’est. (Oui le titre te donnera envie de t’empaler sur la tour Eiffel même pas illuminée, mais TRUST ME, la came est 100% worth.)
J’aurais aimé que ton secret ne soit pas une bouteille cachée, mais plutôt la vérité suivante: ce n’est pas de s’aimer soi-même qui est égoïste, c’est de s’oublier et de le faire payer aux autres. Aime-toi, putain. Non, pas toi maman, that’s a bit too late. Toi qui lis ça. (Waw, elle brise tellement bien le 4ème mur qui n’est pas un mur, c’est brillant.) Connais-toi, en premier. Ne laisse pas aux autres te dire qui tu es, ce que tu veux, ce que tu ressens. Je sais, ça sonne comme un Laurent Gounelle qui aurait copulé avec Marc Lévy, mais ARRÊTE DE ROULER LES YEUX AU CIEL, cordialement. J’ai la désagréable tâche de te dire que ce ne sont pas des mots en l’air. Tu vas devoir y passer. Tu vas devoir trancher: ce soir, c’est pizza ou burger? TOI, tu veux quoi? TOI, tu es quoi? (Elle me demande si je suis un burger? Oui. Non. Oh tu fais aucun effort.)

J’aurais aimé que tu t’en foutes, de ce que les gens vont dire. C’est devenu une running joke dans la famille hein? Qu’est-ce que les gens vont dire? Un joli poison qui nous a tous gangréné un par un. Alors certes, l’opposé n’est pas : YOLO, sortons culs nus en vantant les mérites du nouveau mur de Donald (on mettrait un ptit sarouel au moins, respectons-nous). Mais briser quelques chaînes, assumer de partir, assumer d’avoir besoin d’aide, assumer de s’être trompé. Laisser passer les peurs. Rire du jugement. Ça aurait été doux pour la suite. Ça tétanise, l’inconnu, ça fait mal d’abord, mais la cicatrice ne suinte plus (et on arrête de mettre du pus partout sur ceux qu’on aime, tsé, bon, la métaphore est pas glam, tu vas t’en remettre).

D’ailleurs, j’aurais aussi aimé que tu me dises que les gens, même ceux qu’on aime, ne changent pas. On ne change personne. On ne change que soi. On n’est responsable que de soi-même. Bon ça, c’est toi qui me l’a appris. Mais peut-être qu’il y avait moins théâtral que la dépendance et le suicide pour me l’apprendre, don’t you think, dear? Néanmoins, le jury et nous-même débloquons des points bonus pour l’énergie déployée dans la performance, bravo à vous. Mais en effet. On ne change pas les gens qu’on aime. Ils ne peuvent changer que pour eux, par eux, en eux. On ne peut qu’accepter ou refuser la version d’eux qu’ils nous proposent. On ne peut que choisir pour soi-même. Tu appelles les crêpes des « galettes » ? Soit. C’est ton choix d’être une version obsolète et en déni, mais c’est mon choix de ne pas t’inclure dans ma vie. J’déconne, ramène tes galettes (de blé noir donc).

Ça aurait été sympa de me donner le cheat code pour écouter mon instinct, également. Pas pour l’entendre hein, ça, tu m’as doté d’antennes bioniques qui captent les embrouilles très loin. Mais si on avait pu ajouter l’option « … et suivra son instinct si bien rôdé, plutôt que de faire de la merde en l’ignorant« , ça aurait été Gucci Gucci. Parce que oui, il est FUCKING BON notre instinct. Certes, c’est peut-être un truc de bonnes femmes, genre un deal avec Dieu pour que chaque mois tu troques ton fer et ta joie de vivre contre un 6ème sens pas dégueu. Par contre l’intégration a été tellement éclatée au sol que le scénario final est: « Instinct: Ouh, reste loin de ce type » – « Cerveau: Ouh, non, cdlt ». Bref. Si y’a un doute, y’a pas de doute. Écoute tes tripes caliss.

J’aurais aimé que tu aies des boussoles. Que tu saches quoi suivre pour te guider dans la vie. En plus de l’instinct et de ton amour pour toi-même. J’aurais aimé ne pas avoir à accoucher de mes valeurs par la force. J’aurais aimé que leur prix soit plus bas. J’aurais aimé savoir plus tôt ce qu’était une valeur fondamentale, me demander pourquoi ça me tient à coeur, comment je me sens quand elle est respectée, et comment l’activer dans les différentes sphères de ma vie. C’est nébuleux hein? Ben tsé par exemple, j’aurais aimé mettre le doigt plus vite sur le fait que sans créativité, j’suis comme un petit pot de Yoplait sans Yoplait (clairement y’avait pas de créativité dispo pour cette comparaison, ndlr). Que sans amour, que ce soit en relation, au travail, en amitié, cépaposib’. Que si je me sens pas entière, c’est probablement que je ne le suis pas (la profondeur de cette phrase n’a d’égale que la carrière d’Emma Daumas). Mais maintenant, je sais.

Mais surtout, surtout, j’aurais aimé que tu jardines. Tu as jardiné à ta façon, avec des bouquets qui fanent et des photos de fleurs qui s’écornent. Mais tu n’as jamais développé ton bout de terre. Ton petit bout de terrain qui est à toi, qui est toi. Oui accroche toi Jeannine, on bascule dans une métaphore. J’ai joué à Gandalf ces dernières années, je suis passée par le feu et l’eau pour pondre cette vérité-là:
Avancer dans la vie, c’est s’occuper de son potager. Imagine: t’es tranquillou pépouze ; si tu fais les choses sans être trop névrosé, tu réussis à t’aimer toi-même et à planter ce que tu veux, à agencer les oignons à côté de la lavande si ça te chante, à foutre un éventail à l’effigie de Claude François, à garder la barrière ouverte ou fermée, que sais-je. Qu’importe, c’est toi, pour toi, tu sais ce que tu aimes, ce que tu veux, tu es bien avec toi-même. Pis ça, c’est pareil pour chaque humain (en théorie, malheureusement, parce qu’en pratique: bienvenue dans la plus grande enculade psychologique de notre génération). Et quand un beau jour (ou peut-être une nuit, selon Barbara) tu rencontres ton Roméo d’Aulnay-sous-Bois, ton Jean-Claude Vandamme local, ton scoubidou en sucre, bref, ton couillon, il n’est pas question de tasser TA lavande pour planter SES carottes de merde. Il a son propre potager, et on compte sur toi pour ne pas aller te mêler de ses oignons (OH l’humour de cette femme, tant d’années pour en arriver là, bavons en cœur). Alors comment faire pour cultiver les mûres de l’amour ensemble? Ben vous faites une parcelle commune, grande cruche. Une parcelle partagée, entre vos deux potagers, qui n’empiète ni sur l’un ni sur l’autre (tsais on peut dire que les barrières sont mitoyennes, genre t’as le droit de peinturer ton côté en bleu de Prusse si ça te tente). Pis c’est dans cette parcelle qu’on crée la relation, qu’on partage les esti de mûres, qu’on a le droit de faire des compromis, d’essayer, d’échouer, de recommencer, de mettre de l’engrais ou de laisser en jachère, de diviser les efforts ou d’unifier les énergies. Bref, that’s the playground. C’est un potager commun où ce qui pousse n’est soumis qu’à une seule règle: il doit y avoir deux jardiniers, qui travaillent ensemble pour un jardin qui convient aux deux. Ce qui n’est planté que par un seul jardinier meurt immédiatement. Et interdiction d’oublier son propre potager-maison de l’autre côté hein. Déconne pas Jeannine, j’ai quand même déroulé beaucoup trop de texte pour que tu fasses nawak. Alors maman, j’aurais aimé que tu jardines, et que tu m’apprennes à manier le râteau, plutôt qu’à rouler des pelles (badoom tss). Mais maintenant, je sais.

Mais tu sais, je vais y arriver. Bon anniversaire.

Un commentaire Ajouter un commentaire

  1. Pinou dit :

    J ai un bout de jardin pour planter ton radis, a côté de jean claude. /slurp

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