Une balade au cimetière

C’est pas plus glauque que ton historique de recherches, tu sais

De passage à Bordeaux pour le travail et m’émietter le coeur dans les grandes largeurs, j’ai eu l’occasion de passer de nombreuses heures au cimetière de la Chartreuse. Bon, pour tout de dire, Georgette, c’est pas tant que ce lieu me dévorait d’une envie touristique que la nécessité de me cacher en attendant ma chambre d’hôtel: FYI sais-tu que les cimetières sont des endroits merveilleux pour pleurer ta race sans que ça ne choque personne? Bah wai. Mastermind maggle. De rien, c’est bibi qui régale.

Pro tip: si en plus tu y vas un jour où il n’y a pas foule (et on va pas se le cacher, y’a rarement Patrick Sébastien qui vient organiser une soirée allée B12 entre la tombe de Mme Michon et le tombeau de papy Gérard, donc tu devrais être tranquille niveau achalandage), tu pourras même t’improviser un terrier dans un caveau un peu reclus. Mais sonne avant d’entrer et remercie en partant stp, on est pas des sauvages.

Pro tip 2: figure toi que ce cimetière dispose de toilettes et de lavabos, soit toutes les commodités nécessaires pour te refaire la face et ne pas effrayer le chaland de ton teint frais comme une clé de 12.

Bref, toujours à l’affût d’expérience hop-la-vie pour occuper ton temps de lecture, j’ai erré dans cet immense et magnifique cimetière au doux nom littéraire, l’appareil photo sur le coeur et mes mots en sac à main, ou l’inverse. Et j’ai été chamboulifiée (non, ce mot n’existe pas, mais n’oublie pas qu’on s’en branle, darling).

3615 mylife: j’ai grandi à côté d’un cimetière, et c’est l’endroit le plus paisible au monde. Tu sais, c’est curieux, un cimetière. En temps normal on en a peur, on ne veut pas y aller. Alors certes, ceux qui s’y sont installés ne sont jamais revenus, donc c’est soit Pôle Emploi, soit un (autre) mauvais signe. Pourtant, si on enlève nos lunettes pleines de principes et de glauquitude (nouveau mot dans ton pokédex, je te le prête), c’est un endroit d’une rare sérénité où beaucoup de belles choses s’entrechoquent. Allez viens, je t’emmène voir à travers mes yeux. Fais pas ta timide, t’es capab’.

Nature, peinture, on finit tous en confiture

Le saviez-tu? Ce cimetière date du 18ème siècle (hé wai, il bat le Père-Lachaise, DANS TES DENTS Louis XIV) et il fait 25 hectares (bon ok, 44 pour le Père-Fauteuil là, mais quand même, y’a de quoi faire tes 1000 pas par jour fastoche tahvu). Donc clairement, prends des bonnes chaussures, parce que tu vas galoper comme à Central Park.

On est peu de choses, face au temps. (Waw, changement de ton d’un coup.) La nature reprend ses droits sur tout. De la plus petite tombe que-t’as-l’impression-qu’elle-est-en-plastique à la plus grande pyramide (Oui. Oui oui, des esti de PYRAMIDES, tu verras à la fin, promis.) (Non mais qui se fait construire une pyramide sérieux?!) (Mais en fait, why not, c’est comme un énorme FUCK YOU architectural érigé pour le reste de l’éternité, c’est pas si con.) (On note.) (Bon, chut, reprenons.) Sur toutes les surfaces, dans tous les objets, tout y passe. C’est une claque existentielle à chaque pas, sur chaque pierre. Mère Nature se faufile et habille tout de sa garde-robe végétale. Ca m’a touché jusqu’au fond des trippes: que doivent faire les vivants? Lutter et entretenir le symbole du passé, nettoyer les tombes comme au premier jour du plus-rien-pour-toujours? Ou laisser passer, laisser la vague du temps s’installer, ré-ancrer le défunt dans le présent de ce qu’il est redevenu: de la terre. Je ne sais toujours pas. Mais j’ai parcouru des centaines de tombes, à tous les stades d’abandon possibles, et les plus anciennes étaient les plus splendides. Parce que, mine de rien, la vie refait surface. Je crois que j’aimerais ça, être recouverte de ronces pour te nourrir de mûres, laisser le lierre se glisser dans les poumons de ma terre comme une dernière étreinte, fissurer ma stèle pour accueillir les lézards. Parce qu’OMG, si t’aimes pas l’immigration, visite pas un cimetière bro: c’est le pays des renards, des écureuils, des lézards, des souris, des oiseaux et probablement d’une tripotée d’insectes qui s’en crissent des frontières de Jésus et Marie que tu délimites autour de ton nom de famille. Ici, tu n’es plus un nom, tu n’es plus un souvenir, tu n’es plus un pèlerinage, tu es juste un bout du tout. Et je te jure que le seul champignon que j’ai croisé est sur la seconde photo, pas dans mon système nerveux. Bref. C’était beau comme une balade en forêt, comme la visite d’un vieux temple inconnu, comme une histoire d’amour dont on n’a gardé que les sourires.

Complément d’Objet Indirect (COI): « à qui? »

Saperlipopette qu’on se croit créatifs, nous les humains. J’oscille entre la fascination et le dépit, mais je te confirme que la visite d’un cimetière est une véritable expérience sociale. Encore une fois, on est peu de choses. Quand t’es encore plus dead qu’un lundi matin au bureau (genre tsé, dead for real), tu deviens ce que tes proches décident de résumer. Tu deviens la forme de ta tombe, la hauteur de ta stèle, les mots sur la plaque, les plantes dans les pots, les symboles sur la pierre. Faut faire confiance, et faut bien investir dans ceux qui nous aiment, parce que si tonton Paul souhaite rendre hommage à ton humour de beauf, t’es parti pour 150 ans avec un phallus gravé à côté de ton nom. Donc FAIS GAFFE. Dépendamment de si ta famille voit le verre à moitié vide ou à moitié plein, tu peux soit avoir un dessin de boules de pétanque, une déclaration d’amour en lettres d’or, ou bien le mot « Regrets » gravé 6 mètres au dessus de la truffe pour l’éternité. Fais les bons choix relationnels, ok? Ok.

Fun fact (oui parce qu’avant c’était très sérieux): on voit aussi les différentes personnalités des vivants qui se sont occupés du cailloutage (nous utiliserons cette douce appellation pour parler du choix de la tombe et de toute la panoplie, ok?). Alors évidemment, t’as les pauvres et les riches, clairement, la pyramide ou le tombeau plus grand qu’un appart parisien nous donnent des indices subtiles. Mais t’as aussi les minimalistes (tu voulais une pierre? tiens, voilà une pierre), les artistes (parce que c’est clairement le bon lieu pour innover et récolter les feedbacks sur la tendance funéraire du moment), les designers improvisés (l’ensemble est extrêmement laid, mais tu sens qu’il y a eu une recherche honnête, C+ pour l’effort), les indécis (on hésite entre les 18 modèles de plaques funéraires du catalogue… allez, prenons-les tous, on y écrira 18 fois la même chose avec des synonymes approximatifs), les dramaturges (mise en scène tellement complète du défunt qu’on pourrait lui créer un profil Tinder à l’aveuglette). Je n’arrête pas de te le dire, on est une espèce fascinante, Jean-Mich’.

Et blague à part. Ce que je vois dans un cimetière, c’est qu’on aime. On aime dans toutes les langues, de toutes les façons, dans toutes les polices, à tous les degrés familiaux. On aime son parent, sa maîtresse d’école, son camarade de front, son coach sportif, son petit neveu, son voisin, sa boulangère. On aime dans des grandes phrases poétiques ou avec des petits mots pudiques. On aime sur des statues, des livres, des pots, des fleurs, des grilles, des jouets. On aime avec des cailloux de la plage que l’on a foulé ensemble, on aime avec des fleurs qui me font penser à toi, on aime avec un visage qui a tes traits, on aime avec un vitrail de chat qui veille sur tes soupirs, on aime. Parce qu’à la fin, on sait tous qu’il n’y a plus que ça qui compte. Qu’on rende visite ou non, qu’on se rappelle ou pas, qu’on ait eu du mal à vivre ou non. On aime, et ça se voit.

Ah les fleurs. On ensevelit nos défunts de fleurs à l’enterrement. Littéralement, par gerbes (oh oh). Et tu m’étonnes, c’est magnifique, des fleurs. Mais as-tu oublié que c’est éphémère? Que ça va se faner, comme ton envie d’aller les arroser tous les dimanches? Hé bien non, petit homme. Tu vas contrer le temps qui passe. Tu vas symboliser la pérennité de ton amour à grands renforts de porcelaine, de métal et de plastique. Tu vas être d’une créativité folle pour que tes pétales restent le plus longtemps possible. Et c’est beau. Même délavé, brisé, tordu, effeuillé, c’est beau. Et tu sais ce qui est le plus beau? C’est quand les petites plantes grasses d’un vieux pot oublié perdurent et surpassent tous les jolis mais lâches cyclamens et chrysanthèmes de ce monde. It’s their kingdom now.

Mais un cimetière c’est surtout un lieu de croyance. De croyances, au pluriel. Ou plutôt un lieu d’espoir, au singulier. Quand le temps passe et que l’abandon d’une tombe s’installe, que reste-t-il du voeu initial? As-tu atteint l’autre rive, s’il y en a une? S’occuper du cailloutage est un peu un coup de poker: s’il y a vraiment des règles pour la paix après la mort, faut pas se louper, vois-tu. Si ta figurine de Jésus (à prononcer avec un accent espagnol stp) est trop petite, c’est potentiellement comme essayer de rentrer en boîte avec un poncho. Sur un malentendu, ça peut passer, mais veux-tu faire prendre le risque à Martine? Dans tous les cas, à chaque pas, je me sentais comme une archéologue du futur, tachant de décoder les dévotions initiales, essayant de deviner ce qui avait pu se passer sur ces tombes au fil des années, des intempéries et des générations de Tiktokers d’avant-garde. Qui a foulé ces pierres avant moi? Qui a forgé cette effigie? Combien de larmes ont été versées ici? Y a-t-il eu des rires nerveux? La famille s’est-elle déchirée après la cérémonie? Cet homme a-t-il été aimé comme il l’a mérité? L’a-t-elle retrouvé de l’autre côté? J’espère. Car oui, c’est un lieu d’espoir.

Alors oui, je me suis trimballée comme une touriste-voyeuse entre les noms, les larmes et les espoirs. Mais je n’ai jamais autant aimé l’humanité.

Mais ce qu’on retient surtout d’un cimetière, c’est qu’on ne sera plus jamais du même côté de la barrière. Il faut apprendre à vivre avec tous ces détails qu’on oublie sur les tombes en souvenir de ceux que l’on n’oublie pas. Parce qu’au fond, la mort, c’est un concept pour les vivants.

Bon. Il était tough celui-là. On repart pour un nouveau reportage?

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